Dodge Challenger et Plymouth Sapporo 1978-83 : un peu… c’est mieux que rien

Publié le 15 février 2025 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Au milieu des années 70, Chrysler est en difficulté et n’a plus beaucoup d’argent pour développer de nouveaux modèles. La réponse sera de faire appel à un partenaire étranger. Parce qu’à défaut de faire tourner les usines, vous pouvez toujours essayer de faire tourner le réseau de concessionnaires.

À cette époque, l’ère glorieuse des muscle cars paraît déjà un lointain souvenir. Les tarifs d’assurances élevés, les normes de pollution et le premier choc pétrolier ont eu raison des gros V8 débordant de puissance. Ce qui marche maintenant, ce sont les coupés de luxe personnels (Chevrolet Monte Carlo, Pontiac Grand Prix) ou les petits coupés (Toyota Celica, Datsun 200 SX, Honda Accord, Volkswagen Scirocco ou, dans une certaine mesure, Ford Mustang II). Si Chrysler a bien des modèles dans la première catégorie (la Chrysler Cordoba et la Dodge Charger), elle n’a rien dans la seconde. La solution à ce problème sera vite trouvée, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’elle est utilisée.

Photo: Chrysler

Besoins complémentaires

En 1970, vous avez d’un côté le japonais Mitsubishi qui désire partir sur les marchés d’exportation, notamment l’Amérique du Nord, et de l’autre Chrysler qui n’a rien pour répondre aux nouvelles sous-compactes de ses concurrents américains, les AMC Gremlin, Ford Pinto et Chevrolet Vega. Les marques signent un accord de distribution pour ajouter la Colt à la gamme Dodge. Celle-ci est basée sur la Colt Galant présentée au Japon en 1969. Cette façon de faire est baptisée importation captive (captive import). Chrysler ira puiser dans sa filiale anglaise pour ajouter une sous-compacte à la gamme Plymouth. Baptisée Cricket, il s’agit en fait d’une Hillman Avenger rebadgée qui sera vendue de 1971 à 1973.

Chrysler semble tellement satisfaite de l’accord qu’elle achète 15% des parts de Mitsubishi en 1971. L’investissement s'avèrera très important dans la période extrêmement troublée de 1978-1982. Chrysler portera plus tard sa participation à 24% et créera une usine commune (Diamond Star dans l’Illinois) en 1985. Elle utilisera Mitsubishi comme source de cash au début des années 90, quand elle sera à nouveau en grandes difficultés, en vendant ses 50% dans Diamond Star à Mitsubishi en 1991 et en liquidant ses dernières parts dans le constructeur japonais en 1993.

Un véhicule, deux personnalités

C’est ainsi que Chrysler se tourne à nouveau vers Mitsubishi pour le millésime 1978 afin d’ajouter un coupé compact à ses gammes. Il est basé sur la Mitsubishi Galant Sigma, qui a été présentée au Japon en décembre 1976. Ce modèle sera vendu dans différentes parties du monde sous les appellations Mitsubishi Sapporo (en rapport avec la ville japonaise connue pour avoir accueilli les Jeux olympiques d’hiver de 1972 et, aussi, pour sa bière), Mitsubishi Scorpion, Chrysler Scorpion et, donc, en Amérique du Nord Dodge Challenger et Plymouth Sapporo.

Photo: Mitsubishi

Le nom Challenger fait évidemment écho au pony car lancé par Dodge en 1970 pour concurrencer les Chevrolet Camaro et Ford Mustang. Commercialisé à la fin de l’ère des muscle cars, il ne sera produit qu’à 198 600 exemplaires jusqu’en 1974. Si Dodge a choisi ce nom, pourquoi est-ce que Plymouth n’a pas de son côté utilisé Barracuda, sa cousine de plateforme E-Body? L’hypothèse la plus simple est que, même si les deux autos sont mécaniquement les mêmes, Dodge voulait jouer sur une image plus sportive et Plymouth sur une image plus luxueuse. Utiliser le nom Barracuda ne serait donc pas en adéquation avec le marketing. Elles se distinguent essentiellement par leurs calandres (coupée au milieu chez Dodge), leurs feux arrière (bandeau lumineux chez Dodge), le traitement du toit (décoration chromée chez Plymouth, persiennes sur la vitre arrière chez Dodge), leur sellerie et l’ajout de faux bois sur la planche de bord de la Plymouth. Pour le reste, c’est du pareil au même.

Photo: Plymouth

Les Challenger/Sapporo sont donc des propulsions reposant sur un empattement de 2 515 mm, mesurant 4 615 (Challenger) ou 4 650 mm (Sapporo) et pesant 1 138 (Challenger) ou 1 148 kg (Sapporo). Elles sont de construction monocoque et utilisent une suspension de type McPherson à l’avant, un essieu rigide supporté par 4 bras à l’arrière et des ressorts hélicoïdaux aux quatre coins. La direction est à recirculation de billes et côté freinage, on retrouve le combo classique disques avant et tambours arrière (des disques pouvaient être commandés en option).

Photo: Plymouth

Les mécaniques sont intéressantes. Aux États-Unis, leurs 4 cylindres de 1,6 ou 2,6 litres combinent trois technologies : les culasses hémisphériques (oui, ce sont des Hemis!), le système à « arbre silencieux » (silent shaft) et le système « MCA-Jet ». La technologie à « arbre silencieux » comprend deux arbres additionnels commandés par chaîne placés en haut et en bas du moteur. Ils tournent dans le sens opposé du vilebrequin et leur calibration neutralise les vibrations du second ordre typiques d’un 4 cylindres, autorisant ainsi un fonctionnement plus doux.

Le « MCA-Jet » (pour Mitsubishi Clean Air) ajoute une troisième soupape à chaque cylindre. De diamètre plus réduit, elle permet un passage plus rapide du mélange air/essence. Quand le mélange « rapide » vient se mixer au mélange « lent » dans le cylindre, cela crée une grande turbulence, ce qui améliore la combustion. Contrairement au moteur Honda CVCC, qui utilise également une soupape d’admission additionnelle, le mélange qui passe dans la grande et la petite soupape est le même. Le moteur Honda utilise une préchambre de combustion avec un mélange plus riche en essence pour créer une charge stratifiée dans le cylindre.

Le 1,6 litre développe 77 chevaux et 87 lb-pi de couple alors que le 2,6 litres produit 105 chevaux et 139 lb-pi de couple… aux États-Unis. Car il existe plusieurs différences avec le Canada. Tout d’abord dans l’offre : les catalogues 1978 mentionnent un 4 cylindres 2 litres qui, selon toute vraisemblance, n’a jamais été commercialisé tandis que les brochures 1979 spécifient clairement que le 1,6 litre n’est pas disponible. Ensuite, au niveau de la technologie : les blocs vendus chez nous ne bénéficient pas du système « MCA-Jet ». Ceci s’explique par des normes de pollution moins restrictives, n’imposant pas l’installation d’un tel système. Le 2,6 litres est alors donné pour 108 chevaux et 140 lb-pi de couple.

Des deux côtés de la frontière, la boîte de vitesses de série est une manuelle 5 rapports tandis qu’une automatique à 3 rapports peut être installée en option.

Photo: Dodge

Plus de confort que de sport

En bonnes autos japonaises, les Challenger et Sapporo viennent bien équipées de série : colonne de direction inclinable, compte-tours et instrumentation complète, console centrale, montre électronique, dégivrage électrique, vitres teintées, radio AM/FM et réglage du support lombaire. Les options sont relativement rares (vitres électriques, radio cassettes, régulateur de vitesse, climatisation, direction assistée) et sont, selon le côté de la frontière, souvent incluses dans des ensembles.

Photo: Dodge

Dans son édition 1979, le Guide de l’auto conclut l’essai d’une Challenger 2,6 litres par ces mots : « Négligeant les performances sportives, les Dodge Challenger et Plymouth Sapporo visent une clientèle en quête d’une petite voiture luxueuse et confortable. Ce but est d’ailleurs magnifiquement atteint, et les habitués de Chrysler Cordoba ou de Chevrolet Monte Carlo seront parfaitement à l’aise au volant de ces coupés hard-top de plus petit format. Par ailleurs, les adeptes d’engins sportifs devront chercher ailleurs s’ils désirent jouer les Gilles Villeneuve… » L’équipement complet, les sièges confortables, le silence de roulement et le freinage ont effectivement séduit tandis que le faible volume du coffre, les places arrière étroites, la direction, l’étagement de la boîte et la tenue de route ont attiré des critiques.

Photo: Dodge

Les Mitsubishi/Chrysler ne créent pas l’engouement parmi les acheteurs (voir chiffres de ventes américains en fin de texte) mais remplissent leur objectif : amener de l’activité dans le réseau de concessionnaires.

Changements discrets

Les évolutions vont être assez réduites pour les deux millésimes suivants : nouvelles couleurs en 1979, suppression du 1,6 litre aux États-Unis en 1980. Cela ne saute pas aux yeux, mais les modèles sont redessinés en 1981. Esthétiquement, les arêtes sont un peu plus marquées, les pare-chocs sont mieux intégrés, le coffre est moins pentu, les feux arrière sont nouveaux. On note moins de différences entre les deux modèles qu’avant. Elles se limitent au niveau de la peinture (qui peut être à deux tons chez Dodge), des roues et de la sellerie. Elles en profitent pour grandir (l’empattement passe à 2 530 mm et la longueur à 4 712 mm) et légèrement grossir (1 245 kilos). À l’intérieur, la planche de bord et les sièges sont tout nouveaux. Cependant, la partie technique n’évolue guère. Ces changements ne semblent pas émouvoir la clientèle et les concessionnaires continuent d’écouler grosso modo le même nombre de voitures que précédemment.

Photo: Plymouth

En 1983, les gammes sont revues. Il existe trois niveaux de finition : L, S (à connotation plus sportive et réservée à la Challenger; c’est d’ailleurs la seule différence entre les deux modèles, qui sont devenus absolument identiques, Chrysler utilisant souvent les mêmes photos dans les catalogues Dodge et Plymouth) et Technica (voir ci-dessous). Cette dernière comprend de série une instrumentation et des commandes de température à affichage électronique, une radio AM/FM/MX à syntonisation électronique avec lecteur de cassettes relié à 6 haut-parleurs ainsi que le régulateur de vitesse. Un joli cadeau d’adieu pour le duo!

Photo: Dodge

Ventes américaines

Années calendaires

Dodge Challenger

Plymouth Sapporo

Total

1977

1 832

1 406

3 238

1978

18 690

11 737

30 427

1979

14 166

12 322

26 488

1980

13 184

10 003

23 187

1981

12 690

13 326

26 016

1982

14 128

13 068

27 196

1983

13 171

10 766

23 937

1984

 505

 331

 836

Total

88 366

72 959

161 325

(Les chiffres canadiens sont introuvables mais vous pouvez toujours les évaluer en divisant ceux des États-Unis par 10.)

Tout est bon à prendre!

Les Challenger/Sapporo sont arrêtées à la fin du millésime 1983. Les raisons sont multiples. La plus évidente est que la Galant est redessinée et passe à la traction pour l’année modèle 1984. Mais les conditions, tant pour Chrysler que pour Mitsubishi, ont nettement évolué. La compagnie au pentastar n’est plus en difficulté et génère même de jolis profits (merci aux K-Cars). Quant à la marque aux trois diamants, elle a ouvert son propre réseau de distribution aux États-Unis en 1982 et a moins besoin d’un partenaire pour stimuler ses exportations. Elle va cependant continuer à fournir des imports captifs à Chrysler pour encore de nombreuses années, y compris le coupé Conquest pour Dodge à partir de 1984 (modèle propulsion non distribué au Canada). Chrysler vient, de son côté, d’augmenter son offre de coupés à partir de 1984 en complétant les Dodge Charger/Plymouth Turismo avec les Laser/Daytona, basés sur la plateforme des K-Cars. Ces modèles traction avant sont nettement plus profitables pour la compagnie et c’est pour cela qu’elle les met en avant.

Photo: Chrysler

Les Dodge Challenger/Plymouth Sapporo auront été un sympathique bouche-trou, stylé, confortable et bien équipé, mais un bouche-trou. Elles auront bien servi les besoins des deux partenaires et permis aux concessionnaires Chrysler de tenir le coup en attendant des jours meilleurs… qui ont fini par arriver!

À voir aussi : Antoine Joubert vous présente la brochure de la Chrysler Laser 1984

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