Réparabilité des voitures : l’industrie menace de reculer plutôt que d’avancer
L’industrie automobile menace de s’exempter des nouvelles règles de Québec contre l’obsolescence, ce qui transformerait une loi censée protéger les consommateurs en recul.
« Les constructeurs vont s’exclure du régime via le document prévu par la loi », confirme Ian Sam Yue Chi, patron de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ).
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Le 5 octobre, fabricants et détaillants doivent garantir pièces et réparations pour tous les produits nécessitant un entretien. Mais la loi leur offre une porte de sortie : un avis écrit au consommateur disant qu’ils ne le feront pas.
Les garagistes et vendeurs de pièces du marché secondaire ne croient pas une seconde à la menace de l’industrie. « C’est une tactique de peur », avertit Jean-François Champagne, de l’Association des industries de l’automobile du Canada.
Les constructeurs, dit-il, ont brandi le même spectre en Australie et en Europe, où ils ont invoqué des enjeux de cybersécurité et de sécurité routière avant « de se conformer une fois les lois en vigueur ».
Pas juste l’auto
La CCAQ plaide que Québec a mal calibré sa réforme. La loi rend « très complexe l’idée de dire quelle pièce je garantis pour quelle période de temps », explique Ian Sam Yue Chi.
«À trop vouloir forcer, on crée un effet pervers inverse», prévient-il.
La crainte qui plane maintenant est de voir l’ensemble des fabricants et détaillants emboîter le pas aux constructeurs.
« Si on se retrouve avec des exemptions mur à mur, on ne sera pas gagnant », prévient Maxime Dorais, de l’Union des consommateurs.
Un tel scénario constituerait un recul par rapport à la Loi sur la protection du consommateur adoptée en 1978, que la réforme tente d’améliorer.
Celui qui parle au nom des grands magasins au Québec le dit : de Walmart à Canadian Tire en passant par les petits commerçants, les détaillants vont eux aussi choisir l’exemption pour éviter les poursuites.
« Au lieu d’amener une culture de réparabilité au Québec, on force tout l’écosystème à faire un pas de recul », plaide Michel Rochette, du Conseil canadien du commerce de détail.
Exclure l’auto?
George Iny défend les consommateurs depuis 40 ans et s’inquiète aussi des exemptions. Son Association pour la protection des automobilistes (APA) propose de traiter la voiture à part.

« Le secteur possède déjà un réseau très évolué pour les pièces, le service après-vente et l’outillage », rappelle-t-il en soulignant que l’auto n’est pas un bien jetable, qu’elle coûte 45 000 $ et dure 15 ans en moyenne, et que dans 20% des cas, elle roule encore après 20 ans.
Selon l’APA, les fabricants automobiles devraient avoir l’obligation formelle de fournir pièces et soutien technique pendant 12 à 15 ans, sans possibilité de s’exclure.
Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, n'a pas l'intention de broncher. Son cabinet nous a confirmé que la réforme ira de l’avant, le 5 octobre, et que l’Office de la protection du consommateur va s’assurer de la conformité des entreprises.
« Il est important pour les consommateurs d’avoir accès à des pièces de rechange pour leur véhicule. Les commerçants et fabricants qui respecteront la garantie auront un avantage compétitif vis-à-vis des autres entreprises », nous a indiqué son cabinet.
Le cri du cœur d’une vendeuse de pièces auto
« Ça arrive chaque jour qu’on doive dire non à l’atelier [au garagiste] pour la disponibilité d’une pièce », déplore Élisabeth Lambert, propriétaire de Pièces d’Auto Joliette.

Depuis des années, le marché secondaire de l’automobile milite pour une saine concurrence... et l’accès aux données diagnostiques.
Les véhicules modernes sont des ordinateurs sur roues. Même les réparations de base – changement d’huile, plaquettes de frein – nécessitent une connexion aux systèmes informatiques du véhicule. Sans ces données, que des constructeurs refusent parfois de diffuser, les garagistes indépendants ne peuvent pas travailler.
Cette bataille pourrait enfin aboutir le 5 octobre, ou se transformer en recul historique. L’impact sur son commerce serait majeur si les constructeurs s’exemptent.
« Ça change drastiquement les choses, prévient-elle. Ça va avoir un impact sur les coûts pour le client, sur les emplois. »
L’enjeu dépasse son entreprise, car plus de 100 000 Québécois travaillent dans les garages indépendants et les magasins de pièces. L’accès aux réparations en région éloignée, déjà restreint, empirerait si les constructeurs s’exemptent.
« C’est important qu’on puisse faire réparer nos véhicules à l’endroit qu’on le souhaite, insiste la Joliettaine. Sans accès aux données et aux pièces, ce choix disparaît et les consommateurs deviennent captifs des concessionnaires. »

Le nerf de la guerre
George Iny, de l’APA, résume l’enjeu : « Les données diagnostiques, c’est le nerf de la guerre. Sans accès à ces données, les garagistes indépendants ne peuvent tout simplement pas travailler. »
Pour un Volkswagen 2021, explique Jean-François Champagne, de l’AIA, « ça me prend un outil diagnostique pour faire relâcher les sabots, sinon je ne peux pas changer les plaquettes de frein. »
Quand un garagiste indépendant n’a pas accès aux données, le consommateur paie le prix en temps et en argent.
« On doit mettre le véhicule sur une remorque, l’envoyer chez le concessionnaire, faire les diagnostics, le ramener à l’atelier et redonner le véhicule au client », détaille-t-il.
La cabinet du ministre Jolin-Barette a confirmé au Journal de Montréal que les constructeurs automobiles « ne peuvent pas s’exempter quant à la disponibilité des données de l’automobile ».