Porsche 928 50 Jahre 1981 : le coupé au destin contrarié
Stuttgart, Allemagne – Trônant fièrement sur la Porscheplatz, le musée de la marque éponyme se détache des usines environnantes, avec sa façade imposante et ses trois piliers soutenant sa structure faite de 6 000 tonnes d’acier.
En passant la porte, nous sommes accueillis par une employée du Musée qui nous fait passer une entrée normalement interdite au public. Derrière des parois de verre, plusieurs véhicules sont en révision ou en restauration. Tous portent un autocollant « Porsche Museum » à la base des portes, rappelant leur appartenance. Stationnées au sol ou juchées sur des ponts élévateurs, nous apercevons une 911 Targa dépourvue d’accastillage, une 924 plus neuve que lorsqu’elle est sortie du concessionnaire, une Carrera GT capot moteur soulevé et le modèle que nous nous apprêtons à conduire : un coupé 928.
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Une voiture un peu oubliée aujourd’hui, qui avait pourtant la lourde tâche de remplacer la 911 lors de son développement au début des années 70. Cela peut sembler complètement fou, mais l’iconique 911 devait tirer sa révérence en 1981. Avec son moteur en porte-à-faux arrière refroidi par air, des solutions techniques considérées comme dépassés, elle devait normalement laisser place à la 928. Un coupé de grand tourisme doté d’un V8 refroidi par eau logé à l’avant.

C’était la stratégie poussée par Enrst Fuhrmann, employé de longue date chez Porsche, qui est notamment connu pour le moteur portant son nom, monté dans des voitures mythiques comme la 356 Carrera et la 550 Spyder. Son plan consistait à mettre en avant les PMA (Porsche à moteur avant) comme la 924 et la 928.
Suite à des désaccords avec la direction et la famille Porsche, il sera finalement remplacé par Peter Schutz, dont les vues étaient bien différentes. Pour ce dernier, il était essentiel de poursuivre le développement de la 911, tout en diversifiant la gamme. C’est ce qu’il fera en remettant les ingénieurs au travail, et en lançant la première 911 Cabriolet au début des années 80. L’histoire lui a donné raison, la 911 demeurant le modèle emblématique de Porsche.
Ferry Porsche, fils de Ferdinand Porsche, dira d’ailleurs la même chose dans ses mémoires : « Schutz a rendu d’appréciables services à la société. C’est lui, par exemple, qui a stoppé le déclin de la 911 en décidant de la construction du cabriolet, et qui resta inflexible pour qu’on ne laisse pas mourir ce modèle. J’affirme que nous serions dans une très mauvaise position aujourd’hui si cela avait été le cas ».
En dépit d’une carrière plutôt longue (1977-1995) la 928 est un modèle qui un disparu des radars aujourd'hui. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons demandé à Porsche de la conduire, afin de voir ce qu’elle a dans le ventre, et si elle est justement boudée ou pas.

50 ans cela se fête!
Le modèle mis à notre disposition par le constructeur date de 1981. C’est une série limitée à 140 exemplaires en Allemagne baptisée 50 Jahre (50 ans en Allemand). Elle commémore les 50 ans de la fondation du premier bureau d’étude de Ferdinand Porsche en 1931.
Tous les véhicules étaient parés d’une carrosserie grise avec un intérieur rouge vin. Les sièges recevaient un tissu blanc à rayures rouges et la signature de Ferry Porsche sur les appuie-têtes avant. Pour le reste, elle était identique en tous points aux autre 928 sortant de l’usine à l’époque.

Les premiers modèles de la 928 étaient motorisés par un V8 de 4,5 litres de cylindrée à refroidissement liquide. Il était possible de lui accoler une boîte automatique à trois rapports, ou une manuelle à 5 rapports. C’est cette dernière qui est montée dans notre modèle d’essai. La puissance maximale s’élève à 240 chevaux (normes européennes) et le couple culmine à 280 lb-pi. Avec un poids annoncé de 1 450 kg, ce coupé était capable de passer de 0 à 100 km/h en 7,2 secondes à sa sortie. Cela n’impressionne plus personne aujourd’hui, mais c’était plutôt flatteur au début des années 80.

Pour améliorer la répartition des masses, la 928 héritait aussi d’une disposition dite transaxe (transaxle en anglais) avec le moteur V8 à l’avant, mais la boîte de vitesses logée au niveau du train arrière. Les deux éléments sont reliés par un arbre de transmission qui parcourt la voiture d’avant en arrière. Cette disposition permet d’éviter que tout le poids du groupe motopropulseur soit concentré au même endroit, et d’offrir une conduite plus équilibrée.
Dernier élément digne de mention, la 928 est aussi équipée d’un train arrière de type « Weissach », en référence à la ville allemande où se situe la piste d’essai de Porsche. Grâce à une déformation programmée de certaines bagues en caoutchouc (aussi appelés bushings) reliant les bras de suspension, il y a un léger changement de réglage des roues arrière (modification du pincement). Cela permet à la voiture de se montrer plus sécurisante et moins sujette au survirage.

Silence et raffinement
Dans l’habitacle, la teinte rouge vin de notre modèle d’essai apporte une belle touche de couleur à l’intérieur. Le cuir, très bien préservé, est d’excellente facture. Les sièges vous enveloppent juste ce qu’il faut, avec des mousses moelleuses offrant un confort princier. L’habitacle est plutôt bien construit dans l’ensemble, même si la qualité de certains plastiques déçoit, particulièrement la commande des rétroviseurs électriques, aussi désagréable à la vue qu’au toucher.

Quand on compare la 928 aux coupés de grand luxe actuels, la planche de bord semble très dépouillée, avec des commandes de ventilation, un autoradio à cassettes et un cendrier, un équipement indispensable à l’époque. Bonne surprise au moment de régler la hauteur du volant, ce n’est pas seulement le cerceau qui bouge, mais tout le bloc d’instrumentation. Cela permet de bien voir les cadrans devant soi quelle que soit la taille du conducteur. Une excellente idée, et un système qui devrait être monté dans tous les véhicules!
Côté ergonomie, il y d’autres choix plus discutables comme les quelques boutons et le frein à main positionnés à gauche du siège. Cela dit, on après l’avoir cherché trois ou quatre fois on finit par s’y faire…

À la mise en route, le V8 délivre une sonorité très (trop?) feutrée. Les deux échappements laissent filtrer un léger feulement, rien de plus. Doté d’un positionnement inversé (première vitesse en bas à gauche) le levier de vitesses ne brille pas vraiment pas sa précision. Mais c’est tout de même mieux qu’une 911 contemporaine équipée d’une transmission de type 915.
Après avoir pris le volant d'une Porsche 911 Turbo de 1978 et d'une SC de 1981 (atmosphérique), nous étions curieux de savoir comment se conduit une 928 vendue au même moment. Et il suffit de quelques centaines de mètres pour comprendre que cette dernière se comporte complètement différemment.
La 928 est beaucoup plus silencieuse, raffinée et douce qu’une 911. Il s’agit davantage d’un coupé de grand tourisme que d’une sportive pure et dure. Cette voiture avait aussi pour mission de convenir mieux au marché américain, et il faut reconnaître que sa conduite plus lisse et son V8 coupleux s’y prêtent très bien. Au quotidien, le moteur se montre souple et discret, distillant suffisamment de couple pour évoluer dans la circulation. Les suspensions sont confortables, et absorbent bien les irrégularités de la chaussée.

Reine de l’Autobahn
Cet essai ayant eu lieu en Allemagne, nous n’avons pas pu résister à l’envie d’aller essayer la 928 sur l’Autobahn. Sur une portion sans limite de vitesse, nous avons accroché les 220 km/h sans aucune difficulté. À cette vitesse, les bruits de vent sont évidemment plus présents que dans une Porsche moderne, mais la stabilité de la voiture impressionne. Pas une remontée dans le volant, aucun mouvement parasite de la caisse, la voiture devait être une référence sur ce point à sa sortie à la fin des années 70.
Et pour que cet essai soit complet, un petit détour vers les routes sinueuses du Bade-Wurtemberg s’imposait. Dans ce contexte, la 928 dévoile un comportement plutôt neutre, et se montre bien plus facile à apprivoiser qu’une 911 des années 80. Son train avant bien guidé et l’arrière qui enroule joliment grâce à l’essieu Weissach la rendent plutôt efficace, à défaut d’être démonstrative.

Poussé plus fortement, le moteur devient enfin plus sonore passés les 4 000 tr/min. Il donne son meilleur jusqu’à 5 500 tr/min, les dernières graduations jusqu’à la coupure d’allumage (6 000 tr/min) étant plus lentes à parcourir. Nous avons aussi aimé le freinage, suffisamment puissant même si un peu plus de mordant n’aurait pas nui. Encore une fois, pour une voiture de presque 50 ans c’est tout à fait convaincant.
Au moment de rendre les clés, notre opinion de la 928 est mitigée. D’un côté il s’agit d’une voiture sûre, efficace et confortable qui était probablement une des meilleures GT à sa sortie. Mais d’un autre côté, cette efficacité un peu froide fait en sorte que les sensations de conduite sont gommées.

Et c’est probablement pour cette raison que la 928 n’a pas connu le succès escompté et n’a finalement pas remplacé le 911. Les porschistes purs et durs ont probablement été un peu perdus face à cette voiture complètement différente et peut-être un peu trop parfaite.
Aujourd’hui, cela fait en sorte que l’on peut se procurer une Porsche 928 pour une fraction du prix d’une 911 contemporaine. Mais si cette voiture vous intéresse, gardez à l’esprit qu’en dépit d’un prix de vente raisonnable elle demeure une Porsche. La voiture a pu être négligée avec les années, et les coûts de remise en état peuvent rapidement dépasser la valeur totale du véhicule. Il vaut donc mieux se tourner vers une voiture suivie, avec un dossier de factures bien fourni pour limiter les risques.
