Vous souvenez-vous de… l’Infiniti Q45 1990-96?
Pas facile de démarrer une toute nouvelle marque. C’est pourtant ce que va faire Nissan à la fin des années 80. La compagnie va même mettre les petits plats dans les grands. Mais le vaisseau amiral d’Infiniti va devoir affronter deux problèmes majeurs : sa propre nature et le fait que Toyota a eu la même idée.
Après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, les constructeurs japonais ont gagné d’importantes parts de marché en Amérique du Nord. Certains, dont les marques américaines, crient à la concurrence déloyale du fait d’un yen maintenu artificiellement faible clament-ils. Afin d’éviter des complications, un accord de restriction volontaire des exportations est mis en place entre le gouvernement américain et les manufacturiers japonais en 1981. Celui-ci limite le nombre de véhicules rentrant sur le territoire américain à 1,68 million d’unités. Il passera à 1,85 million en 1984 et 2,3 millions en 1985 avant d’être finalement aboli en 1994. Pour les fabricants japonais, cela signifie deux choses : la nécessité de construire des usines en Amérique du Nord et de monter en gamme pour maintenir les marges sur des plus petits volumes. Dans les deux cas, ce sera Honda qui réagira le premier en inaugurant en novembre 1982 une usine à Marysville, dans l’Ohio, et lançant une marque premium, Acura, pour le millésime 1986 (1987 au Canada).
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Au loin, l’horizon est infini
Dès 1983, Toyota annonce le début de la conception d’une toute nouvelle berline haut de gamme capable de concurrencer Mercedes, BMW, Audi et autres Jaguar. Celle-ci deviendra la Lexus LS400. En 1985, Nissan démarre l’« Horizon Task Force » pour développer une berline haut de gamme. L’équipe sera dirigée par Takashi Oka. Le nom Infiniti sera sélectionné en juillet 1987 avec un logo symbolisant une route allant vers… l’infini, justement.
En novembre 1985, Nissan dévoile au Salon de l’auto de Tokyo les concepts Be-1, COM COM, Mid4, EV Resort, LUC-2 et CUE-X. Ce dernier (voir photo ci-dessous) est une longue berline qui préfigure les lignes de la future Q45.

Le style de la voiture est confié à Shunji Yamanaka. Ce dernier est entré chez Nissan en 1982 avant de devenir designer industriel à son compte en 1987 ainsi que professeur de design à l’Université de Tokyo. Il réalisera un vaste portfolio d’objets allant de la montre aux claviers en passant par des fauteuils. Pour la Q45, il veut revenir à des valeurs traditionnelles japonaises avec des lignes dépouillées et sans ornementation inutile : pas de grille de calandre, peu de chrome (sauf sur les poignées de porte) et pas de bois à l’intérieur.

Il y aura de grands débats en interne pour savoir s’il fallait placer un logo sur la calandre. Au final, un insigne exclusif inspiré de l’art traditionnel de l’émail « Shippo-yaki » sera installé (voir photo ci-dessous). Le modèle final affichera un Cx de 0,30, une excellente valeur pour l’époque.

L’intérieur est donc très simple, monochrome. Le cuir, sélectionné avec l’aide de Poltrona-Frau, est de série mais le tissu est une option gratuite (selon les marchés).

Une voiture de conducteur
Pas question d’aller concurrencer les Allemands et les Anglais avec un simple V6. Pour la Q45, Nissan développe un nouveau V8 : le VH45DE. D’une cylindrée de 4,5 litres, il fait appel à un bloc et à des culasses en aluminium et comprend 32 soupapes refroidies au sodium commandées par deux arbres à cames en tête et un système de calage variable. En Amérique du Nord, il délivrera 278 chevaux à 6 000 tr/min et 292 lb-pi à 4 000 tr/min, ce qui représente d’excellentes valeurs puisque seule la BMW 750 iL et son V12 de 5 litres fait mieux dans la catégorie. Il ne sera couplé qu’à une boîte de vitesses automatique à 4 rapports.
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Millésime 1991 |
Cylindrée |
Puissance (chevaux) |
Couple (lb-pi) |
0 à 60 mph (s) |
Quart de mille (s) |
|
Infiniti Q45 |
4,5 litres |
278 @ 6 000 |
292 @ 4 000 |
7,3 |
15,6 |
|
Lexus LS400 |
4,0 litres |
250 @ 5 300 |
260 @ 4 500 |
8,1 |
16,1 |
|
BMW 750iL |
5,0 litres |
296 @ 5 200 |
332 @ 4 100 |
7,4 |
16,0 |
|
Mercedes-Benz 560 SEL |
5,6 litres |
238 @ 4 800 |
287 @ 3 500 |
7,3 |
N.D. |
|
Audi V8 |
3,6 litres |
240 @ 5 800 |
245 @ 4 000 |
7,1 |
N.D. |

Le châssis, à roues arrière motrices, est lui aussi tout nouveau et bénéficie de suspensions multibras à l’avant et à l’arrière ainsi que d’un différentiel à glissement limité. Un système de roues arrière directrices Super HICAS (pour High Capacity Actively Controlled Steering) est également disponible. Dérivé du système de la 300 ZX Z32, il est contrôlé par un ordinateur dédié. Le tout est complété par un ABS de série. La Q45 repose sur un empattement de 2,87 mètres, mesure 5,07 mètres et pèse 1 751 kilos.

Une aubaine? Oui, mais…
L’Infiniti Q45 (nom de code interne G50) est dévoilée au Salon de l’auto de Detroit en janvier 1989 (voir photo ci-dessous). La division est fondée courant 1989 et elle sera initialement dirigée par Bill Bruce (déjà membre de la task force Horizon). La commercialisation commence aux États-Unis le 8 novembre 1989 pour le millésime 1990 à travers 51 nouvelles concessions exclusives (aucune trace de logos Nissan) et à l’ambiance très zen. Il faudra attendre un an de plus pour que les ventes démarrent au Canada via 15 concessionnaires. Afin d’offrir la meilleure satisfaction client possible, Nissan a évalué différentes compagnies de services comme Federal Express, les hôtels Four Seasons et les magasins Nordstrom.

Au lancement américain, la Q45 est accompagnée par la M30, une deux portes disponible en coupé et cabriolet. Connue au Japon sous le nom de Nissan Leopard, elle partage sa plateforme avec la Nissan Skyline R31. Le marketing veut créer une aura zen autour de la Q45, en accord avec la philosophie de design de l’auto. Les premières publicités américaines montrent des oiseaux en vol ou bien l’océan mais aucune trace du modèle ou bien de ses caractéristiques techniques. Ces spots dérouteront bon nombre de consommateurs.
Pour l’année modèle 1990, Infiniti offre deux versions : la Q45 de base et la Q45t (pour Touring et non pas turbo) qui bénéficie des 4 roues directrices, d’une barre stabilisatrice arrière et d’un discret aileron. Pour 1991, la marque ajoute la Q45a équipée de série d’une suspension active (également disponible en option sur les autres modèles). Ce système remplace les amortisseurs classiques par des actuateurs hydrauliques. Il fait appel à 10 capteurs (3 accéléromètres verticaux, deux latéraux, un dans le sens avant-arrière ainsi que quatre capteurs de hauteur) qui envoient l’information vers deux calculateurs 16-bits, qui utilisent aussi le régime moteur et la pression sur les freins avant d’ajuster la suspension afin de limiter le roulis, la plongée et la levée du train avant ainsi que le tangage.

Mais au Canada, pas de Super HICAS ou de suspension active. Infiniti ne propose qu’une version de base. Bien équipée, avec notamment un système audio Bose exclusif, elle est offerte à un prix qui fait d’elle une affaire face à la concurrence (voir tableau ci-dessous).
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Millésime 1991 |
Prix (CAD) |
|
Infiniti Q45 |
54 000 |
|
Lexus LS400 |
63 000 |
|
BMW 750iL |
105 000 |
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Mercedes-Benz 560 SEL |
112 900 |
|
Audi V8 |
73 800 |
Dans son édition 1991, le Guide de l’auto tombe sous le charme : « La Q45 est une très solide routière. Elle n’a pas l’agilité et la sportivité ultime des grandes BMW, mais elle est presque aussi silencieuse qu’une Lexus, la nouvelle référence en cette matière. Sa suspension est superbe en général, autorisant un roulis moyen en virage. Elle avale par contre les petites irrégularités avec une efficacité tout aussi impressionnante que celle de sa rivale nippone. » L’ouvrage apprécie également le moteur « aux sonorités qui raviront l’oreille mécanophile en accélération maximale », la boîte de vitesses « aussi irréprochablement douce et précise que celle de la Lexus LS400 et que la superbe ZF de l’Audi A8 », la finition « irréprochable » et l’excellente chaîne stéréo. Certaines réactions de la direction et l’habitabilité à l’arrière ont par contre moins séduit. Le Guide conclut son essai par ces mots : « Il faut saluer le travail de conception et de développement remarquable qu’ont accompli les ingénieurs de Nissan/Infiniti sur cette première berline de grand luxe. […] Il est renversant de constater que l’on ne peut éviter de comparer la Q45 aux berlines allemandes de haut de gamme, alors qu’avec un prix de 54 000 $, elle se retrouve en concurrence directe avec les modèles situés au moins un cran plus bas. Il faut dire qu’elle offre au moins l’équipement et les performances des premières, avec toutefois l’habitabilité des deuxièmes. À toute enseigne, elle a toutes les chances de faire des malheurs sur le marché. »

Et la tradition dans tout ça?
Et comment croyez-vous que le marché a réagi? Tranquillement, très tranquillement. Aux États-Unis, la Q45 se vendra entre 2 et 3 fois moins que la Lexus LS400 (voir tableau des ventes américaines ci-dessous).
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Année calendaire |
Infiniti Q45 |
Lexus LS400 |
|
1989 |
1 072 |
11 574 |
|
1990 |
13 938 |
42 806 |
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1991 |
14 623 |
36 955 |
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1992 |
12 216 |
32 561 |
|
1993 |
12 294 |
23 783 |
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1994 |
11 419 |
22 443 |
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1995 |
7 803 |
23 657 |
|
1996 |
5 896 |
22 237 |
Nissan, qui avait insisté sur le caractère traditionnel japonais des lignes sobres, réagit au millésime 1994 en « américanisant » sérieusement la Q45 : nouvelle grille de calandre chromée (justifiée par Infiniti par l’adoption d’un nouveau climatiseur sans fréon nécessitant un plus grand apport d’air frais… mouais…), plus de chrome, du bois et un cuir plus souple à l’intérieur, insonorisation plus poussée, suspension plus souple sur la version de base et direction moins directe. Tant pis pour la sportivité… Des phares antibrouillards sont également installés.

Au Canada, il faut attendre l’année modèle 1995 pour que la version Q45t soit ajoutée à la gamme. À ce moment, les prix ont considérablement augmenté (72 000 CAD), limitant encore un peu plus la diffusion du modèle. Heureusement, Infiniti peut compter sur une gamme élargie : G20, J30 et I30. Pas de modifications majeures au Canada pour 1996, si ce n’est la disparition du système de calage variable des soupapes (la puissance reste la même). Aux États-Unis, la suspension active est retirée, tout comme la version Q45a, boudée par la clientèle.

La Q45 est redessinée une première fois pour le millésime 1997 (avec un V8 de 4,1 litres mais, curieusement, elle ne devient pas Q41) puis une seconde fois en 2002 avant d'être supprimée à la fin de l’année modèle 2006. Elle n’aura pas permis à Infiniti de s’installer dans le segment du haut de gamme comme Lexus l’aura fait avec sa LS. Comme quoi, des fois, le poids des traditions…
