General Motors, la bouffeuse de marques
Ces temps-ci, General Motors n’a pas beaucoup d’amis au Canada… Ou, en tout cas, elle en a moins depuis l’annonce de la fermeture de l’usine d’Oshawa. Au cours des 110 dernières années ce géant américain, un temps considéré comme la plus grosse entreprise au monde, a maintes fois dû s’ajuster, pas toujours pour le bonheur de ses travailleurs ou clients. Puisque la fermeture d’Oshawa a fait l’objet de nombreux articles, sur ce site comme ailleurs, nous nous sommes intéressés à quelques marques de GM a déjà laissé tomber…
La General Motors est créée le 16 septembre 1908 par William Crapo Durant, dit Billy Durant. Durant est un visionnaire et un mégalomane. Sa vision du marché automobile naissant est à l’opposé de celle d’Henry Ford. Ce dernier propose une seule voiture, déclinée en différentes versions, et le Model T (1908-1927) en sera la plus parfaite expression. D’ailleurs, s’il n’en avait tenu qu’au têtu Ford, la T serait encore en production en 2019!
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Durant, lui, voyait plutôt un conglomérat de plusieurs marques pouvant répondre à un large éventail de portefeuilles. Et pour chacune de ces marques, plusieurs modèles dans une gamme de prix bien étudiée. Ainsi, l’opérateur de machines dans une usine pouvait trouver le modèle seyant à ses besoins, tout comme le don Juan qui voulait afficher sa fortune, les deux chez le même constructeur, sans que le second se sente socialement diminué.
Lorsqu’il forme la General Motors, Durant possède déjà la marque Buick, achetée de David Dunbar Buick le 1er novembre 1904. En 1909, à peine un an après avoir fondé General Motors, Durant achète les marques Cadillac, Oldsmobile, Rainier et Oakland. Cette dernière deviendra Pontiac en 1926.
Aujourd’hui, la General Motors regroupe les marques Chevrolet, Buick, Cadillac, GMC (camions et VUS dérivés de Chevrolet… ou est-ce l’inverse?), Holden (marque australienne) et Wuling, un important constructeur chinois. Sans compter les parts acquises ici et là dans une multitude de constructeurs, petits et grands, à travers le monde.
Depuis ses débuts, la General Motors a été propriétaire de près de 40 marques qui ont toutes été reléguées aux oubliettes, quelquefois dans l’indifférence totale, d’autres fois... Voici une liste des marques les plus importantes à avoir vécu et être mortes sous le giron GM.
Marquette (1907-1912, 1930)
Cette marque existe d’abord entre 1907 et 1912 et remplace progressivement la Rainier après que cette dernière soit passée aux mains de Durant en 1909. Marquette revient en 1930 et se situe hiérarchiquement entre Pontiac et Buick. En fait, elle est une sorte de petite Buick. Elle est retirée du marché la même année.
McLaughlin (1907-1942)
Formée à Oshawa (Ontario) en 1907, la McLaughin Motor Car Company Limited a besoin de moteurs. Sam McLaughlin, son charismatique propriétaire, signe un contrat de quinze ans avec Billy Durant pour la fourniture de moteurs Buick en échange d’argent et de parts dans la compagnie canadienne. Au début des années 20, ses voitures sont baptisées McLaughlin-Buick. Il faut toutefois noter que le nom Buick a déjà été accolé à McLaughlin auparavant et que, dans certains cas passés et à venir, on verra Buick-McLaughlin ou McLaughlin tout court. Quoi qu’il en soit, la marque s’éteint en 1942. Elle revient après la Seconde Guerre mondiale, sous le nom Buick, simplement.
Oldsmobile (1897 – 2004)
Ransom Eli Olds forme l’Olds Motor Vehicle Co. en 1897 et devient rapidement le plus important constructeur automobile des États-Unis. Pourtant, dès 1904, il part après s’être disputé avec ses actionnaires. Dès l’année suivante, il crée la REO, d’après ses initiales. Les voitures fabriquées par la Olds Motor Vehicle, dont la très populaire Curved Dash (1901-1907), sont habituellement appelées Oldsmobiles par le public. D’où l’origine d’Oldsmobile. Dans le giron de General Motors, Oldsmobile est stratégiquement placée sous Buick, mais au-dessus de Pontiac. Jusque dans les années 1980, les choses vont plutôt bien pour Oldsmobile, mais ensuite General Motors ne semble plus savoir où et comment la positionner par rapport à la concurrence. En avril 2004, c’est la fin de cette vénérable marque.
Pontiac (1926 – 2010)
Créée d’abord pour élargir le marché de l’Oakland, la marque Pontiac a tôt fait de la déloger. Dès la première année-modèle, 1926, les modèles Pontiac se vendent mieux que les Oakland! Cette dernière survit jusqu’en 1931. En passant, l’Oakland était construite à… Pontiac, dans le Michigan. Quoi qu’il en soit, Pontiac a toujours été un joueur majeur pour General Motors et nombre de ses voitures sont encore très recherchées par les collectionneurs. La crise du papier commercial de 2008 porte un sérieux coup de masse à General Motors qui doit éliminer rapidement plusieurs de ses marques pour pouvoir espérer avoir un prêt du gouvernement. Le 27 avril 2009, GM annonce la fin de Pontiac. En janvier 2010, la dernière Pontiac, une berline G6, quitte l’usine d’assemblage.
LaSalle (1927-1940)
L’idée de donner une petite sœur à Cadillac flottait dans l’air de GM depuis déjà quelque temps lorsque la marque LaSalle est créée en 1927, remplissant ainsi un certain vide entre les prix des Buick et ceux des Cadillac. L’arrivée de la LaSalle marque un précédent chez General Motors et dans l’industrie américaine. En effet, pour la première fois, une voiture est dessinée par un designer, Harley Earl, au sein d’un nouveau département, le Art and Colour. Malheureusement, la crise financière des années 30 porte un coup fatal à LaSalle dont les ventes sont loin d’être celles des Packard Junior ou de la Lincoln Zephyr. Après 1940, General Motors remplace la LaSalle par une version moins dispendieuse de la Cadillac, la Series 61.
GM Envoy (Canada seulement, 1959 – 1970)
Au début des années 50, pour offrir aux Canadiens des voitures économiques sans débourser pour les coûts de développement, General Motors commence à importer au Canada des Vauxhall et Bedford anglaises, qu’elle vendra via son réseau Pontiac-Buick. Les concessionnaires Chevrolet-Oldsmobile réclament aussi une petite voiture. C’est ainsi qu’ils se retrouvent avec des Vauxhall et des Bedford rebadgées GM Envoy (à ne pas confondre avec GMC Envoy) et GM Epic. L’aventure se termine en 1970, mais General Motors du Canada décide à ce moment d’importer la Vauxhall Firenza, considérée par plusieurs, même presque 50 ans plus tard, de pire voiture de tous les temps!
Acadian (Canada seulement, 1962 – 1971)
Au début des années 60, alors que commencent à proliférer les voitures compactes, Chevrolet propose deux voitures : l’extravagante Corvair et la sage Chevy II, construites à Oshawa en Ontario. Les concessionnaires Pontiac-Buick eux, n’ont rien à offrir à leurs clients. C’est alors que la Chevy II reçoit une grille à la Pontiac et est rebaptisée Acadian. Ce qui, avouons-le, est suffisant pour parler d’une Pontiac Acadian… Sauf que l’Acadian est une marque à part, vendue par Pontiac-Buick. Comme pour mêler davantage les cartes, entre 1976 et 1987, il y aura une Pontiac Acadian, une cousine très germaine de la Chevrolet Chevette. Mais revenons en 1962, tandis que, pour mêler encore les historiens, on retrouve une Acadian Beaumont, Beaumont deviendra une marque à part (voir plus bas). L’Acadian sera abandonnée par General Motors en 1971 et sera remplacée par la Ventura II, une Chevrolet Nova de nouvelle génération badgée Pontiac. T’sé une histoire facile à suivre…
Beaumont (Canada seulement, 1966-1969)
Lorsqu’elle débute en 1962, la Beaumont est le modèle haut de gamme de l’Acadian. Au Canada, en 1964, la Chevrolet Chevelle américaine est incorporée à la gamme Acadian, donnant naissance à l’Acadian Beaumont. Sa popularité est telle que General Motors du Canada décide d’en faire une marque à part, distribuée elle aussi par le réseau Pontiac-Buick-Acadian. La Beaumont est donc une Chevrolet Chevelle avec une grille avant de Pontiac. Le tableau de bord aussi est un mélange de Chevrolet et de Pontiac. Les ventes démarrent bien mais, après un sommet en 1968, déclinent rapidement, la Beaumont comprenant moins de modèles qu’avant. En juin 1969, la dernière Beaumont quitte l’usine d’Oshawa.
Saturn (1990-2010)
La marque Saturn est fondée le 7 janvier 1985, mais il faut attendre le 30 juillet 1990 avant de voir la première Saturn sortir de l’usine de Spring Hill au Tennessee, une SL2. Saturn représente, pour General Motors, une façon de rompre avec le passé et d’imaginer un futur prometteur en partant d’une feuille blanche. Tout est nouveau, de l’usine aux employés en passant par le réseau de concessionnaires et l’approche marketing. La crise financière de 2008 amène General Motors à se concentrer sur ses marques les plus rentables… ce que n’est pas Saturn. Roger Penske, le populaire homme d’affaires et ancien pilote de course, se montre intéressé par le rachat de Saturn, mais il ne peut s’associer à un manufacturier pour fabriquer les voitures. Le 31 octobre 2010, c’est la fin pour Saturn.
Hummer (1992-2010)
En 1992, le petit constructeur AM General commence à produire une version civile de son Humvee, un véhicule parfaitement militaire. Cette version civile, c’est le Hummer. En 1998, General Motors achète le droit d’utiliser le nom Hummer. Le premier Hummer commercialisé par GM est le H1, le modèle le plus près de la version militaire. Le H2 suit en 2003, amalgame des Chevrolet 1500 et 2500. Enfin, le H3, basé sur la camionnette intermédiaire Colorado, apparaît en 2006. Mais les temps changent et l’environnement prend de plus en plus de place dans l’opinion publique. Se promener en Hummer n’est plus aussi hot qu’avant. Lorsque General Motors déclare faillite en 2009, le sort du Hummer est vite scellé.
SAAB (2000-2010)
Fondée en 1938, la marque suédoise SAAB (Svenska Aeroplan Atkie Bolag) se spécialise d’abord dans le développement et la construction d’avions. En 1945, débute l’aventure automobile. Tout au long des décennies, les voitures SAAB font preuve d’une belle originalité ce qui les rendait plutôt exclusives… mais aussi marginales. Pour survivre, SAAB doit s’associer à un constructeur important. En 1989, General Motors acquiert 50% de ses parts. Puis, en 2000, la multinationale américaine achète le reste des parts de la petite suédoise. Ayant ainsi les coudées franches, General Motors… dénature SAAB en lui donnant des modèles existants en Amérique, mais arborant un écusson SAAB. En 2009, lorsque GM se retrouve en position désastreuse, elle fait des pieds et des mains pour s’en débarrasser, d’abord à Spyker, mais la transaction échoue. SAAB est forcée de déclarer faillite. En 2012, une compagnie suédoise, la National Electric Vehicle Sweden, tente de redonner vie à SAAB en faisant des voitures électriques mais, encore là, l’aventure se termine en faillite.
Parmi les autres marques détenues et abandonnées par General Motors, citons, entre autres, Scripps-Booth (1912-1922), Opel, (1929-2017), Daewoo (1982–2011), Passport (1988-1991), Geo (1989-1997), Asüna (1993-1995).
Malgré cette liste (incomplète !) et la récente annonce de la fermeture de l’usine d’Oshawa, combinée avec celle de Boisbriand en 2002, il serait faux de prétendre que General Motors coupe ici et là sans discernement. Pour une entreprise, ce sont les chiffres qui comptent, bien avant les émotions. Malheureusement.