La Ford Mustang de Bullitt s’est-elle vendue trop cher?
Vendredi dernier, la célèbre Ford Mustang du film Bullitt s’est vendue à l’enchère un peu plus de 4,4 millions de dollars CAN.
Aussitôt l’encan terminé, les experts de salon se sont prononcés. « Ma Mustang 1999 va prendre de la valeur. » « À ce prix-là, elle n’est même pas restaurée! » « Encore un riche qui se gâte alors que des enfants crèvent de faim. »
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Bref, on en a tout entendu. Mais en faisant abstraction de nos – pas si anciennes! - valeurs judéo-chrétiennes qui sont souvent la source de malaises entourant les bidous, cette Ford Mustang s’est-elle vendue trop cher?
En fait, son prix me paraît tout à fait juste.
La mise à l’enchère a été fortement médiatisée. Du coup, tous ceux et celles qui pouvaient être intéressés ont eu le temps d’être mis au courant. Qu’il soit question de dé à coudre, de carte de hockey et d’automobile, la véritable valeur correspond au nombre de liasses qu’un collectionneur est prêt à avancer.
Si tel bouquin de référence indique que votre figurine de Star Wars vaut 1000 $, mais qu’aucun collectionneur n’est prêt à débourser plus de 500 $ pour l’obtenir, c’est bien dommage, mais ladite figurine ne vaut dans les faits que 500 $. La valeur, en fonction de l’offre et de la demande, fluctue aussi dans le temps. Et c’est pareil dans l’automobile. N’en déplaise à certains…
Si cette enchère a suscité autant de réactions, c’est notamment parce que cette voiture pourtant bien usée est devenue la Mustang la plus chère de tous les temps. Et de loin. En effet, lors de la précédente édition de l’encan Mecum de Kissimimie avait été vendue une Shelby GT500 1967 Super Snake pour la somme de 2,2 M de $ US (2,9 M en $ CAN de l’époque).
Cette Mustang survitaminée à la peinture blanche et aux bandes décoratives bleues était jusqu’à la semaine dernière celle qui avait été vendue pour la plus haute somme. La voilà désormais déclassée.
Il est aussi intéressant de comparer le résultat de cette vente avec une autre Mustang qui a joué la vedette au cinéma. En effet, lors du même encan, une des onze Ford Mustang « Eleanor » 1967 à avoir été utilisées pour le tournage du film Gone in 60 Seconds (Partis en 60 secondes) était aussi mise en vente. La mise la plus élevée a à peine dépassé les 850 000 $ US (1,1 M de $ CAN).
Bien que ce montant soit plus que considérable et que ni vous ni moi n’avons les poches assez profondes pour l’acquérir, on est loin des hautes sphères de celle qui était pourchassée par une Charger noire dans les rues de San Francisco en 1968…
C’est plate à dire, mais l’aura et le mythe entourant Nicolas Cage est de moins grande envergure que pour Steve McQueen. À cet effet, au cours de la Car Week qui se déroulait à Monterey en 2017, la Porsche 917 du film Le Mans s’est vendue pour la somme de 14 M de $ US (17,6 M de $ CAN).
Elle est devenue à ce moment la Porsche la plus chère au monde. Vous vous rappelez que Steve McQueen occupait le premier rôle dans cette œuvre cinématographique? Il n’y a pas de hasard. D’ailleurs, vous vous souvenez de la combinaison blanche décorée aux couleurs de Gulf qu’il portait à l’écran?
Il y a près de neuf ans, elle a trouvé preneur pour la somme de 984 000 $ US. Oui, autant d’argent pour quelques mètres carrés de tissu. Autrement dit, en exagérant à peine, vous pourriez assurer votre retraite en retrouvant un cure-dent utilisé par M. McQueen au casse-croûte du coin en 1974…
À ceux qui critiquent l’état de cette Mustang, sachez qu’un objet n’est original qu’une seule fois. Il est temps de dire au revoir à la vieille mentalité selon laquelle il faut tout restaurer et à tout prix. Sur le plan historique, un objet, et ce peu importe sa nature, a bien plus de valeur s’il est dans son état d’origine que s’il a été retapé et qu’il est plus beau que lorsqu’il a été initialement fabriqué.
La voiture qi nous occupe ici baigne dans son jus depuis la fin du tournage. Oui, la peinture est mate. Oui, il y a des miettes de corrosion ici et là. Non, ses chromes ne sont pas parfaits. Mais tout ça n’a aucune importance. Si vous mettez la main sur un tableau d’Henri Matisse et que l’une des fleurs est un peu abîmée par l’effet du temps, vous ne sortirez pas vos pinceaux et pour tenter de le restaurer. Ce serait une erreur, car il ne serait plus authentique. Et c’est la même chose avec cette Mustang.
Si on la repeint, si on refait sa sellerie et qu’on lui installe des jantes neuves, elle ne sera plus exactement celle qui était dans le film. Et c’est cette caractéristique qui la rend si désirable auprès des véritables collectionneurs. Dans le cas d’une épave qui ressemble davantage à un tas de fumier qu’à une bagnole, c’est discutable. Mais c’est tout sauf le cas de cette Mustang.
Si vous êtes effrayés par les 4,4 M de $ échangés contre cette Mustang verte, vous pourriez faire le saut en analysant la vente de véhicules de collection au sens large. Il n’est pas ici question de votre Chevrolet Cavalier 1995 qui est nouvellement ancienne… Non, on fait plutôt référence à la Ferrari 250 GTO par exemple.
En effet, vous pourriez bondir de votre fauteuil en apprenant que l’homme à la tête de WeatherTech s’en est récemment offert un exemplaire au printemps 2018. Sur le chèque qu’il a signé, on pouvait y lire le chiffre 7 suivi de sept 0. Oui, vous avez bien lu. 70 Millions de dollars US. À ses côtés, la Mustang, c’est de la petite bière…
Une chose est certaine, si elle se retrouve sur le marché à un moment ou à un autre et que la mise la plus élevée dépasse les 4,4 M de $ CAN, vous saurez que finalement, ce n’était pas si chèrement payé.
En attendant, un richissime collectionneur a probablement réalisé un vieux rêve vendredi dernier. En espérant qu’il osera la rouler lors de rares occasions. Force est d’admettre que c’est bien plus tripant que de recevoir un relevé trimestriel même si elle est, elle aussi, un placement.